Jean-Luc Barassard, expert en design durableJean-Luc Barassard, expert en design durable

Le design durable vu par Jean-Luc Barassard

Jean-Luc Brassard, a été nommé Expert en Design Durable à L'École de design Nantes Atlantique il y un an. En quoi consiste sa mission ? Il a été désigné pour sensibiliser les étudiants et les équipes pédagogiques à la réduction des impacts et à la régénération de la biodiversité au sein de l’école.

Qu’est-ce que le design durable ? Sur quels principes repose-t-il ?

Le design durable est une démarche de design qui satisfait le ou les usagers (centré utilisateur) mais qui satisfait également une démarche centrée sur la planète (Planet Centric). Il a deux objectifs  :

  1. satisfaire l’usager ;
  2. préserver la planète et ses composantes.

L’idée est de rendre le projet  :

  • désirable ;
  • faisable (au niveau technologique);
  • viable  (financièrement );
  • durable (en lien avec la vision du développement durable).

Quand on parle de design durable, parle-t-on bien de développement durable au sens large ?

Le design durable intègre bien les 17 objectifs de développement durable, mais il va plus loin. Il met particulièrement l’accent sur certains de ces objectifs :

  • problème des émissions CO2 ;
  • problème de pollution ;
  • risque d’extinction de la biodiversité.

On cherche à diminuer, atténuer, voire préserver les atteintes faites à ce niveau-là.

vue extérieure

Comment le design durable s’inscrit-il dans les priorités de L'École de design Nantes Atlantique ?

L’année dernière, la direction de l’école a souhaité faire du design durable un axe stratégique de développement de l’école. L’habitabilité de la planète reste, en effet, un enjeu majeur pour demain.

Cette dimension de design durable infusait de nombreux projets étudiants, néanmoins, elle était “dispersée”, peu cohérente et difficilement lisible. J’ai été désigné en tant qu’Expert en Design Durable pour que le design durable ne se réduise pas à une spécialité, mais devienne une compétence transverse, commune à tous les étudiants.

Le design durable sera donc une composante indispensable de l’enseignement prodigué à l’école. Il intègrera notre socle de connaissances.

J’ai réalisé un inventaire de ce qui avait été fait par les étudiants de leur 1re à la 5e année d’études à l’école dans le domaine du design durable. Ensuite, j’ai formulé la proposition d’une nouvelle composante d’études. Elle permettra à tous les étudiants de savoir :

  • réduire les impacts dans tous les projets ;
  • éviter, compenser ou régénérer l’impact.
étudiants de l'école de design

Quelles actions relatives au design durable allez-vous mettre en place au sein des cursus de  l’école ?

Nos actions s’articuleront autour de 3 dimensions.

  1. Les savoirs : un parcours en 1re année, sur le réchauffement climatique (20h),  permettra aux étudiants de comprendre les modifications climatiques actuelles et la genèse des crises climatiques. Ainsi, ils accèderont à un socle de compréhension en matière d’enjeux planétaires contemporains. Ils étudieront également le rôle du design face à ceux-ci.

Ce socle se développera de manière plus large les années suivantes.

2. Les savoir-faire : ce parcours se déclinera en 2e et 3e année. Les cours concerneront  :

  • l’écoconception (évaluer et réduire l’impact) ;
  •  les méthodes de design circulaire, c’est-à-dire l’intégration du projet dans un processus qui interroge les points suivants : le projet est-il plus durable ? Est-il réparable ? Les ressources sont-elles biosourcées ? Fait-on du réemploi de matériaux, utilise-t-on des matériaux recyclables ?

Avec l’étudiant, on questionne la méthode de la conception, des matériaux, des process, des usages et de la consommation. Progressivement, l’étudiant rentre  dans une vision systémique du sujet où le projet appartient à un système qui, lui-même, dépend de la planète Terre. Il s’agit de comprendre les liens entre eux et d’aider l’apprenant à  manoeuvrer dans cette complexité.

En 3e année, les étudiants commencent à appréhender cette vision du système.

En 4e et 5e année, ils développent :

3.  Les savoir-être

On va leur enseigner la capacité à argumenter, à affiner leur esprit critique et à affirmer leur positionnement.

Par exemple, il faut être capable d’interroger la commande et réfléchir à des points comme  :

  • comment éviter certains impacts ?
  • quelle est ma posture en matière d’éthique ?
  • comment préserver le sens de ce que je fais en termes de métier/modèles d’affaires ? Par exemple, ne pourrait-on pas louer des produits au lieu de les vendre ?

On propose une autre manière d’approcher le projet, une autre architecture centrée sur la planète (Planet Centric). C’est complexe et le designer doit être capable de donner à voir cette complexité, de s’y déplacer et d’y intégrer du sens, des valeurs et des outils.

Comment forme-t-on des designers au design durable ?

Outre ce socle de connaissances sur le design durable dispensé comme une composante à part entière à L’École de design Nantes Atlantique, les 3 leitmotivs du designer durable sont :

  1. éviter
  2.  réduire
  3.  régénérer

Dans l’histoire de l’humanité, nous disposons de plusieurs visions philosophiques du rôle de l’homme face à la biodiversité.

La plus répandue et communément admise est celle où l’homme se situe tout en haut de l’écosystème et surplombe/domine la biodiversité, restée en bas de l’échelle.  La vision écologique, elle, stipule que l’homme est au coeur de la biodiversité dont il fait partie comme tous les autres éléments du vivant. L’hindouisme, de son côté, considère que l’homme est en bas de l’échelle de la biodiversité et qu’il doit se mettre au service de la biodiversité.

L’idée est de cheminer de la première posture à la dernière. La bioinspiration, approche créative basée sur l'observation des systèmes biologiques, fait partie de ce cheminement.

Par exemple, si j’aménage un parc, il semble évident d’y intégrer un système de régénération de la faune et la flore. En revanche, pour un projet numérique, il convient de se demander : répond-on véritablement à l’usager et à la biodiversité ? Comment analyser ce système pour y intégrer de nouvelles parties prenantes qui prendront cela en charge ?

On proposera aussi aux étudiants de faire une démarche de retour de la biodiversité à l’école. Avec des experts, nous proposerons 2 expériences :

1ère expérience : travailler sur le  “Campus Zéro Déchet” : nous allons mettre en application les enseignements du design circulaire. On s’interrogera sur comment, au sein de l’école, est-ce qu’on requestionne l’usage des flux de matières qui rentrent et sortent de l’enceinte ?

Par exemple, nous avons à disposition de nombreuses poubelles de recyclage. Est-ce qu’on les utilise correctement ? Comment acquérir les bons réflexes de tri ? Nous pourrions aussi récupérer certains produits pour les recycler, comme le matériel utilisé dans les ateliers de l’école (maquettes) . En amont, nous pourrions faire venir des matières recyclées provenant d’entreprises locales. Il s’agit d’inciter les étudiants à n’utiliser que des matières renouvelables.

2ème expérience : Nous n’avons pas encore trouvé de nom pour cette expérience, mais il s’agit de mettre en place les conditions du retour de la biodiversité sur le campus.

L’idée serait de démarrer, par exemple, par un inventaire du bâtiment. En fonction de l’architecture du bâtiment, on pourrait se poser les questions suivantes  :

  • peut-on y installer des nichoirs à chauve-souris / insectes / oiseaux ?
  • le toit végétalisé de l’école permet-il d’abriter  certaines espèces vivantes ? Peut-il favoriser l’émergence d’insectes ou de végétaux nouveaux ?

Il s’agit de bien étudier comment intégrer ces réflexions dans le cadre du contrat d’une oeuvre architecturale à respecter. Comment dialoguer avec l’architecte et comment faire vivre cette dynamique durant plusieurs années ? Comment y revenir pour faire un inventaire régulier ? En dehors de l’école, nous ferons également vivre des expériences délocalisées aux étudiants. Par exemple, l’association Horizon Bocage récolte des fonds pour faire pousser des plants de haies bocagères. Ils recherchent régulièrement des bénévoles pour aller planter ces haies chez les agriculteurs locaux. Des étudiants de l’école seront mobilisés pour cela. 

Comment les équipes pédagogiques vont-elles être formées au design durable ? Qu’est-ce qui va changer ?

J’ai proposé de faire une Fresque du Climat avec tous les salariés de l’école. Qu’est-ce que la Fresque du Climat ? C’est un jeu collaboratif qui vise une meilleure compréhension partagée des enjeux climatiques à grande échelle. Ceci afin d’accélérer les actions nécessaires à la préservation de la planète. Son succès repose sur son efficacité pédagogique, l'expérience collaborative qu'elle offre, et sa large diffusion grâce à sa licence d'utilisation ouverte.

De plus, avec le service des Ressources humaines, on a identifié des salariés des équipes pédagogiques qui recevront une formation sur le 1er sujet du design durable : réduire. Cette formation sera basée sur le design circulaire et l’écoconception. Ces bases leur permettront de commencer à intégrer cette dimension dans leurs cours. J’enclenche une dynamique à l’issue de laquelle nous verrons quels autres contenus de formation proposer.

 

jean luc barassardAtelier de la fresque du climat à destination des collaborateurs et des étudiants

Quels sont les leviers pour favoriser l’économie circulaire au sein de l’école ? Par exemple, le réemploi des matériaux, l’économie de ressources et la mutualisation de moyens.

Nous avons plusieurs initiatives à ce niveau-là. Par exemple, nous souhaitons tenter une expérience en récupérant le marc de café de l’école pour y faire pousser du mycélium. Nous pourrions ensuite utiliser cette matière pour créer des objets. Autre exemple : une société, avec laquelle nous travaillons, nous livre des plats avec beaucoup d’emballages. Nous sommes en train de réfléchir à la manière de mieux  trier ces déchets. De même, les étudiants sont allés visiter des centres de recyclage locaux pour voir ce qu’il advient de nos détritus.  Quel futur pour nos bouteilles en plastique et nos mégots de cigarettes ? Une loi va bientôt nous imposer de récupérer tous les déchets compostables. Nous devrons donc installer un bac supplémentaire de tri des déchets au sein de l’établissement.

L’idée est d’expérimenter, d’essayer, de voir ce qui fonctionne ou non. Il s’agit aussi de prendre conscience du volume de CO2 généré par nos actes quotidiens. Saviez-vous que des scientifiques ont estimé que rouler 10 km en voiture provoque la fonte de 15 kg de glace ? Ces chiffres nous invitent à  reconsidérer nos déplacements au quotidien.

Plus globalement, allez-vous mettre en place une série de conférences sur le design durable ? À qui s’adresseront-elles ?

Oui, notre conférence mensuelle intitulée “Focus Design Durable” sera ouverte aux alumnis, étudiants, professeurs et à tout individu intéressé par le sujet. La prochaine conférence portera sur la  sobriété numérique et ses usages. Les thématiques suivantes porteront sur les mobilités durables (intervenant : Aurélien Bigot), l’usage de l’eau, l’utilisation des algues en tant que ressources durables, etc.

conference thierry leboucqConférence sur l' éco-design de service numérique avec Thierry Leboucq, Dirigeant fondateur de Greenspector, entreprise à mission, éditeur français en éco-conception des services numériques.

Envisagez-vous une démarche visant à obtenir un label “design durable” pour l’école ?

Oui, à moyen terme, dans le cadre de la Conférence des Grandes Écoles, nous irons chercher ce label. Je vais rejoindre ce programme et ainsi, permettre à l’école de rendre une feuille de route sur son économie régénérative. Cela demande de réaliser des travaux, mais nous aurons bel et bien ces exigences. Nous participons déjà à la démarche relative à la Convention des Entreprises pour le Climat.

 

Le design durable concerne-t-il seulement l’aspect environnemental du processus de création ?

Non, la question sociale est forcément inscrite dans la notion de design durable. Ce paradigme bouscule les modèles d’affaires,  l’organisation et les statuts sociaux. On ne peut répondre à cette vision système que par l’approche sociale. Les solutions de design durable ne seront pas que matérielles ou techniques : elles engloberont le rôle que jouent les humains, leurs relations interpersonnelles et leur relation à la nature.

 

Pourquoi le design durable est-il indispensable au monde de demain ?

Une chose est sûre : dans le futur, la planète continuera à tourner, mais les conditions de vie pour l’humanité deviendront très compliquées, pour ne pas dire invivables. Nous sommes actuellement en train de créer les conditions pour vivre le pire.

L’école forme des étudiants, aujourd’hui, qui seront diplômés en 2028 et commenceront leur vie professionnelle vers 2031. Ces jeunes commenceront donc à agir pour cette cause-là vers 2030. Or, en 2030, nous devrons réduire drastiquement notre consommation et modifier en profondeur notre façon de vivre. À L’École de Design Nantes Atlantique, nous faisons notre part pour que les conditions de l’humanité soient meilleures et pour que les jeunes bâtissent le monde de demain avec de nouvelles formes de design.

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Ecrit le 09.10.23

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